Le Premier ministre haïtien Ariel Henry est arrivé au Kenya a rencontré le chef de l’État William Ruto dans l'espoir de signer un « accord de réciprocité » permettant le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti. Nairobi a accepté d’en prendre la tête pour aider la police haïtienne à lutter contre les gangs. Le projet a été suspendu par une décision de justice, mais un accord bilatéral pourrait débloquer la situation.
Diego Da Rin est expert au sein de l’International Crisis Group. Selon lui, une signature d’accord serait une étape importante mais pas le dernier obstacle au déploiement des troupes internationales en Haïti...
Diego Da Rin : Il s’agit du principal écueil pour que le Kenya puisse envoyer ces mille policiers et diriger cette mission. Il en existe un autre qui concerne les fonds et les équipements des différents pays voulant contribuer à la mission. Le Kenya a dit que, tant que tous les fonds nécessaires pour envoyer la mission n'étaient pas disponibles, il n’allait pas envoyer les policiers en Haïti.
Oui, les chiffres varient légèrement selon les sources mais celui-ci a été présenté au Parlement du Kenya lorsque le projet a été soumis par le gouvernement. Certains diplomates trouvent ce chiffre un peu élevé par rapport aux besoins réels, mais c'est la somme qui est requise publiquement par le Kenya.
Et on en est loin aujourd'hui ?
Les États-Unis ont dit qu'ils attribueraient à l'opération 200 millions de dollars, mais le Congrès des États-Unis doit encore approuver cette contribution. Il y a eu aussi une réunion au Brésil en marge du G20 il y a quelques jours, au cours de laquelle il semblerait que plus de 120 millions aient été collectés. Ces contributions s’élèveraient donc plus ou moins à la moitié des 600 millions requis. Donc, ce n’est pas encore gagné.
Et puis, il y a aussi la question du personnel. Vous nous l'avez dit, le Kenya a prévu d'envoyer un millier d'hommes en Haïti. La Jamaïque, les Bahamas, d'autres pays d'Amérique du Sud doivent aussi participer. Cela représente quelques centaines de personnes. Et on a appris au début de la semaine que le Bénin proposait de missionner 2 000 soldats. Est-ce suffisant, selon vous ?
Toujours selon le rapport rendu par le gouvernement du Kenya à son Parlement pour présenter le projet de déploiement, Haïti avait initialement demandé une force de 1 500 policiers. Donc, avec les 1 000 policiers kényans, les 2 000 du Bénin… qui est un pays ayant le français comme langue officielle, donc c'est important : au moins, cette fois-ci, il y a cette conscience qu'il faut qu’une bonne partie du personnel parle au moins le français. Une partie des policiers kényans devant être mobilisés ont d’ailleurs commencé depuis le mois d’octobre à avoir des cours de français. Donc, avec les contributions de certains pays des Caraïbes, on pourrait en arriver à une force de plus ou moins 4 000 effectifs. Si tous sont spécialement entraînés au combat urbain et sont bien équipés, alors la force pourrait arriver à faire changer le rapport de force entre les forces de sécurité haïtiennes et les gangs, dans le court terme.
Vous l'écrivez dans votre dernier rapport sur Haïti, il est important que la force soit imposante dès le début.
Effectivement, les gangs attendent de voir à quoi va ressembler cette mission. Ces groupes craignent particulièrement une force qui aurait à sa disposition des équipements dont ils ne disposent pas, comme des véhicules armés de transport de troupes ou des hélicoptères.
Votre organisation a mené des entretiens en Haïti et on peut lire dans votre dernier rapport que les gangs semblent envisager deux réponses possibles à l'arrivée de la mission multinationale : des négociations, si vraiment ils étaient dominés par la force, mais sinon, ils pourraient se regrouper dans une coalition et choisir la violence.
Nous avons vu en septembre que les deux principales coalitions qui opèrent dans la capitale - une coalition de gangs - ont voulu gommer leurs différences, notamment pour se préparer à un éventuel déploiement d'une force étrangère en Haïti. Ce pacte de non-agression a duré très peu longtemps, mais nous avons eu des informations indiquant que des communications sont encore en cours entre des gangs rivaux. Donc, la possibilité existe de voir une sorte de front uni entre des gangs. Mais si la force multinationale représentait vraiment une menace, qu'ils estimaient ne pas pouvoir affronter avec succès, il y a déjà des leaders assez influents qui se sont dit prêts à négocier en vue d'une possible démobilisation.
Il y a des discussions entre les différents gangs, et puis, il y a un autre risque qui pourrait limiter l'efficacité de cette force multinationale, c'est la collusion qui existe entre les gangs et certains policiers.
Absolument. Cela va être l'un des principaux obstacles, à différents niveaux de la hiérarchie de la police parce que - non seulement il existe une certaine collusion entre des membres assez haut gradés de la police et certains gangs - mais aussi il y a des policiers, qui viennent d’intégrer l’institution et qui habitent dans des quartiers assez compliqués, parfois juste à côté de quartiers contrôlés par des gangs, et sont contraints de collaborer avec eux d'une manière ou d'une autre. Donc, il sera très important que la force étrangère travaille notamment avec les unités spéciales qui ont été soumises à une vérification minutieuse du personnel afin de s’assurer qu'ils ne sont pas en collusion avec les gangs et éviter ainsi toute fuite d'informations au sujet de leurs opérations. Mais, pour arriver à assurer que ces résultats vont durer dans le temps, il faut, par exemple, arriver à augmenter significativement la capacité de la police haïtienne. Elle compte moins de 10 000 policiers actifs pour une population de douze millions de personnes. Selon les standards internationaux, Haïti devrait disposer d’environ 25 000 policiers actifs, plus du double des effectifs actuels.
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Source: RFI